Par Dorian Gray

Source : BnF EST

Si l’on suit ce que l’auteur de la Recherche relate dans d’autres pages – autres que celles citées ici au chap. 4 –, on voit qu’il n’était pas dans sa chambre lors de la plupart des réminiscences, mais en général assis ou debout ; c’est peut-être pour cela que chez lui, les symptômes du phénomène d’Isakower sont moins marqués que chez d’autres sujets qui, eux, étaient couchés. Néanmoins, les filigranes de certains symptômes sont quand même repérables pour qui a éprouvé ces manifestations sur soi-même comme on va le montrer. Le lecteur peut commencer ce chapitre 5, s’il le veut, en allant directement plus bas, à partir du paragraphe en caractères gras (« Bischoff, qui a minutieusement étudié… » etc.). Auparavant, on passera en revue tous les récits que Proust a faits de cette fameuse scène de la madeleine ; on y verra, entre autres choses, qu’à l’origine il n’y avait pas de madeleine, mais une tartine de pain grillé. Ce qui nous intéresse ici c’est de nous approcher de la première description de ces sensations, de remonter vers l’origine, tout en lisant les différentes versions. On a la chance d’avoir plusieurs descriptions d’une même scène, profitons-en.

Commençons par une des plus anciennes versions. Elle se trouve dans la préface de Contre Sainte-Beuve[1], ouvrage écrit, comme on sait, avant que Proust ne commençât la Recherche, mais non publié de son vivant : 

« L’autre soir, étant rentré glacé, par la neige, et ne pouvant me réchauffer, ma vieille cuisinière me proposa de me faire une tasse de thé, dont je ne prends jamais. Et le hasard fit qu’elle m’apporta quelques tranches de pain grillé. Je fis tremper le pain grillé dans la tasse de thé, et au moment où je mis le pain grillé dans ma bouche et où j’eus la sensation de son amollissement pénétré d’un goût de thé contre mon palais, je ressentis un trouble, des odeurs de géraniums, d’orangers, une sensation d’extraordinaire lumière, de bonheur ; je restai immobile, […] et m’attachant toujours à ce bout de pain trempé qui semblait produire tant de merveilles, quand soudain les cloisons ébranlées de ma mémoire cédèrent, et ce furent les étés que je passais dans la maison de campagne que j’ai dite qui firent irruption dans ma conscience, avec leurs matins, entraînant avec eux le défilé, la charge incessante des heures bienheureuses. Alors je me rappelai : tous les jours, quand j’étais habillé, je descendais dans la chambre de mon grand-père qui venait de s’éveiller en prenant son thé. Il y trempait une biscotte et me la donnait à manger. »

Les termes « biscotte » et « pain grillé » sont à peu près similaires ; la biscotte est ici une tranche de pain rassis qui a été grillée, donc du pain cuit deux fois, d’où le nom de biscotte[2]. Dans une version antérieure on trouve : « et m’attachant toujours à ce goût de pain »[14]. Puis il y eut d’autres versions de cette scène. Citons deux esquisses (malheureusement pas en coll. de poche) que fit Proust de cet épisode, mais qui ne furent pas conservées intégralement dans la version finale. Du côté de chez Swann, Esquisse XIII (vol. I, 696-697) :

« Un de ces derniers hivers je rentrais ayant froid, sentant la neige. Mon feu ne prenait pas. Françoise pour me réchauffer me proposa de me faire du thé : je n’en prends jamais, j’hésitai, j’acceptai. Elle me l’apporta avec une petite biscotte que j’y trempai. Elle était devenue molle si bien qu’il y en avait des miettes dans la cuillerée du thé que je portai à mes lèvres. Aussitôt qu’elle les eut touchées, je me sentis envahi par une sensation délicieuse. Il me semblait que mon être s’était tout d’un coup rempli d’une essence précieuse inconnue qui donnait à ma vie un prix infini et soustrait à toutes ses contingences. Le dégoût de ma médiocrité, la platitude du présent, la crainte de l’avenir, tout cela s’était évanoui. Cette sensation aussi obscure qu’elle était puissante et que j’aurais été bien embarrassé de nommer, définir, même d’apercevoir, portait en elle-même en quelque sorte l’évidence de sa valeur supérieure à la vie par l’indifférence subite qu’elle m’avait donnée à tout ce qui n’était pas elle. Mais que pouvait-elle être, je sentais bien qu’elle était entrée en moi au moment où j’avais senti la gorgée de thé mêlée de biscotte qui avait touché mon palais. Mais je savais aussi qu’elle était autre chose. Je cherchais en moi, au fond de moi, car il semblait que mon être avait pris une sorte de profondeur infinie. Et je sentais dans cette profondeur quelque chose qui réveillé sans doute par ce goût de thé, se détachait, cherchait à monter à la lumière de la conscience, s’élevait, traversait des espaces anciens dont elle me rendait la sensation comme une ancre qui a traversé toute la profondeur de l’eau avant d’apparaître. Mais pourrait-elle monter jusque-là. Je m’efforçais, je me penchais vers ce fond de moi-même, je n’apercevais rien, il me semblait que j’allais distinguer quelque chose. Bientôt ma vue se brouillait tout à fait. Alors un instant je cessais de penser, puis comprenant que je n’avais fait que m’éloigner du moment premier et révélateur, je tâchais de me remettre dans l’état où j’étais quand le thé avait touché ma bouche, je m’efforçais de ne pas penser à ce qui allait se produire pour ne pas le modifier et je pris une seconde cuillerée. Le thé ne me dit pas plus la seconde fois qu’il ne m’avait dit la première. Était-ce donc en moi qu’il fallait chercher. Et je tâchai alors de reproduire par la mémoire, ce que j’avais éprouvé au moment où je sentis le goût du thé. Mais déjà avec cette lâcheté qui à tant de moments de ma vie me conseilla d’abandonner une tâche ardue en vue d’un but précieux, pour le moindre effort des actes habituels, j’allais renoncer, boire mon thé sans plus penser. Et je sentais des morts que je ne reconnaissais pas qui comme les morts de l’Érèbe quand passe Énée disent : “Rends-nous le sang qui va nous ressusciter.” Et j’écartais leur foule importune. Notre volonté habituelle serait pour cela peu de chose si de tels états n’avaient en eux-mêmes un charme qui nous empêche de nous plaire à autre chose. C’est comme un amour, mais un amour sans trouble et qui rompt – pour un moment hélas – les liens jusque-là si forts. Un effort encore. Et tout d’un coup je me souviens. Ce goût du thé mêlé de biscotte amollie, c’est celui que tous les matins je goûtais à Combray, quand aussitôt habillé j’allais dire bonjour à ma tante Léonie qui me donnait une cuillerée de son thé. »

Jusqu’ici on pouvait passer devant sans remarquer l’anguille sous roche. On note également que dans les premières versions de la scène dite de la madeleine, il n’y avait pas de… madeleine. Mais dans la deuxième esquisse, on va voir apparaître la madeleine et un être mystérieux, qui, selon l’auteur, est en chacun de nous et « qui ne peut vivre que dans l’essence des choses, laquelle ne peut être saisie qu’en dehors du temps. » Certains isakoweriens reconnaîtront peut-être quelque chose. Je n’en dis pas plus. Du côté de chez Swann, Esquisse XIV (I, 699-701) :

« Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un de ces derniers hivers, comme je rentrais à la maison, ma mère me trouvant glacé, me proposa de me faire un peu de thé dont je ne veux jamais. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, je me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée de thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de Madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante félicité ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je prends une seconde gorgée de thé qui ne m’apporte rien de plus que la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais il ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter, et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même, quand lui, le chercheur, est à la fois le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Ce qu’il lui faut conquérir, faire entrer dans sa lumière c’est une partie de lui-même qui n’est pas encore et qui ne pourra sortir que de lui !

     « Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. Je me remets dans l’état où j’étais au moment où je pris la première cuillerée de thé. Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit. Et pour que rien ne brise l’élan dont il va tâcher de la ressaisir j’écarte tout obstacle, toute idée étrangère, j’abrite mes oreilles et mon attention contre les bruits de la chambre voisine. Puis sentant mon esprit qui se fatigue, sans réussir, je le force au contraire à prendre cette distraction que je lui refusais, à penser à autre chose, à se refaire avant une suprême tentative. Puis une dernière fois je fais le vide devant lui, je le mets en face du souvenir de cette saveur goûtée dans le thé mêlé de gâteau et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s’élever, comme une ancre qu’on détache, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c’est, mais cela monte lentement, j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des distances traversées.

« Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, le souvenir, l’instant ancien, que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi. Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être. Peut-être il ne remontera jamais de sa nuit. Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre importante m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain, qui se laissent remâcher sans peine. Et pourtant, déjà, si je n’ai pu identifier le souvenir, je me suis élevé à la raison du plaisir qui le précédait et que sa “reconnaissance”, sa notion claire n’a pas suivi. Cette raison c’est qu’en nous il y a un être qui ne peut vivre que dans l’essence des choses, laquelle ne peut être saisie qu’en dehors du temps. En elle seulement il trouve sa subsistance, ses délices, sa poésie. Il languit dans l’observation du présent, où les sens ne lui apportent pas cette essence des choses, il languit de la considération du passé, que l’intelligence lui dessèche. Il languit dans l’attente de l’avenir que la volonté construit avec des fragments du passé et du présent qu’elle rend moins réels encore en leur assignant une affectation utilitaire, une destination tout humaine. Mais qu’un bruit, qu’une odeur, déjà perçus autrefois, soit pour ainsi dire entendu, respiré par nous à la fois dans le passé et dans le présent, réel sans être actuel, idéal sans être imaginé, il libère aussitôt cette essence permanente des choses, et notre vrai moi qui depuis si longtemps était comme mort, s’éveille, s’anime et se réjouit de la céleste nourriture qui lui est apportée. Une minute extratemporelle a recréé pour la sentir l’homme extratemporel. Et que celui-là pourrait-il craindre de l’avenir ?

    « Ah ! nous disons souvent que la vie présente est médiocre et notre passé ne nous semble pas plus beau. Mais c’est que ce que nous appelons ainsi n’est nullement notre passé. Que sous notre pied dans une cour une pierre réveille une seule des sensations que nous eûmes en foulant le pavage du baptistère de Saint-Marc, que le goût d’une madeleine trempée dans du thé approche de nous sans même nous le laisser reconnaître encore un peu de passé, nous sentons à la joie, au charme irrésistibles qui nous inondent combien le passé réel – même le plus humble – est différent de celui que nous présente la mémoire de l’intelligence sur la réquisition de notre volonté.

    « Et c’est bien cette joie, ce charme qui nous donnent le courage de tenter un dernier effort, de ramener à la lumière ces morts suppliants, dont notre fatigue, nos amis, nous conseillent d’écarter la foule importune. Mais le plaisir est là qui comme un amour nous a déliés des autres attraits que le sien. Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que tous les matins à Combray, quand j’allais lui dire bonjour, ma tante Léonie trempait dans son thé et me donnait ensuite. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé, tant que je n’y eus pas goûté ; »

Certains isakoweriens auront pu reconnaître ici cette étrange présence, ou cette matière bizarre, qu’ils ont côtoyée ou eurent l’impression de côtoyer, lors des récurrences de leur phénomène d’Isakower. Si cette présence, souvent au cœur du phénomène, se devinait dans l’Esquisse XIII, elle est bien plus en évidence dans la XIV. Par contre, dans la version définitive, cette fameuse scène de la madeleine a été tronquée. L’ « être extra-temporel » est passé à la trappe. Or ici ce sont les faits tels qu’ils étaient à l’origine – ou le plus près de l’origine – qu’on a besoin de connaître le plus précisément possible. On y reviendra et l’on verra pourquoi Proust n’a pas raconté les choses telles qu’elles se sont réellement passées.

Avant de voir la version définitive citons encore la courte version du Cahier 8 (un autre avant-texte) :

« Françoise pour me réchauffer me proposa de me faire du thé : je n’en prends jamais, j’hésitai, j’acceptai. Elle me l’apporta avec une petite biscotte que j’y trempai. Elle était devenue molle si bien que je mis des miettes dans la cuillerée de thé que je portai à mes lèvres. Aussitôt qu’elle les eût touchées, je me sentis envahi par une sensation délicieuse. Ce goût de thé mêlé de biscotte amollie, c’est celui que tous les matins je goûtais à Combray, quand aussitôt habillé j’allais dire bonjour à ma tante Léonie qui me donnait une cuiller de son thé[3]. »

Version définitive. Du côté de chez Swann (I, 44-46 ; éd. Folio, p. 100-104) :

« Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portais à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.

 « Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé. Je retrouve le même état, sans une clarté nouvelle. Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit. Et, pour que rien ne brise l’élan dont il va tâcher de la ressaisir, j’écarte tout obstacle, toute idée étrangère, j’abrite mes oreilles et mon attention contre les bruits de la chambre voisine. Mais sentant mon esprit qui se fatigue sans réussir, je le force au contraire à prendre cette distraction que je lui refusais, à penser à autre chose, à se refaire avant une tentative suprême. Puis une deuxième fois je fais le vide devant lui, je remets en face de lui la saveur encore récente de cette première gorgée et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s’élever, quelque chose qu’on aurait désancré, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c’est, mais cela monte lentement ; j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des distances traversées.

     « Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l’image, le souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu’à moi. Mais il se débat trop loin, trop confusément ; à peine si je perçois le reflet neutre où se confond l’insaisissable tourbillon des couleurs remuées ; mais je ne peux distinguer la forme, lui demander, comme au seul interprète possible, de me traduire le témoignage de sa contemporaine, de son inséparable compagne, la saveur, lui demander de m’apprendre de quelle circonstance particulière, de quelle époque du passé il s’agit.

 « Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s’il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre importante, m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine.

 « Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé, les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s’était abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur la gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »

Je pense que des isakoweriens seront d’accord : sans cette mystérieuse présence, il est difficile de deviner qu’il y a là un phénomène d’Isakower sous-jacent. On l’analysera plus loin dans le détail (chap. 6). Finissons avec les différentes versions et remontons encore plus haut vers l’origine du récit. Voyons une version ancienne de la scène de la biscotte, l’une des plus anciennes ; elle est citée par Jürg Bischoff : « Maman bientôt m’apporte une tasse brûlante avec une biscotte. J’en pris une machinalement la trempai dans le thé et quand elle fut amollie la mis dans ma bouche en même temps qu’une gorgée de thé [4]. » Cette version-là doit être assez proche de ce qui s’est réellement passé ce soir d’hiver.

Bischoff, qui a minutieusement étudié l’évolution des avant-textes de la biscotte puis de la madeleine, souligne un fait très important pour ce qui nous occupe : « […] le goût de la biscotte n’intervient pas dans la transmission du souvenir[5]. » À propos des plus anciennes versions qu’il a étudiées – que nous n’avons pas lues – il écrit : « c’est encore le toucher qui déclenche le processus qui porte au souvenir ; la consistance semble donc avoir conservé sa place dominante[6]. » Exactement comme dans la majorité des récits de phénomènes d’Isakower, la bouche est le lieu où commence et se poursuit cette étrange expérience ; elle est très souvent déclenchée par la sensation d’un contact avec le palais, comme ici pour le Narrateur[7]. C’est seulement dans les variantes plus tardives, celles de la scène avec une madeleine, que viendront les mots saveur et odeur[8].

La biscotte, on l’a dit, était souvent du pain rassis que l’on faisait griller pour le rendre plus appétissant. À première vue, on pourrait penser que Proust a opté pour la madeleine parce que le champ sémantique de celle-ci était plus intéressant que celui d’un morceau de pain rassis… ; ce n’est pas si sûr, comme on le verra vers la fin du chapitre 9 (Biscottes, madeleines, gâteaux marbrés, etc.). Nous soulignons ici que le thé est présent dans toutes les variations et les esquisses, ce qui n’est pas le cas de la madeleine ni de la biscotte. « Jardin dans une tasse de thé » fut même un des titres un moment envisagés par Proust pour la première partie de Du côté de chez Swann [10]. Enfin, ajoutons pour la bonne bouche cet extrait de la préface du Contre Sainte-Beuve, qui fait suite à l’extrait cité au début de cette page : « Et quand ces étés furent passés, la sensation de la biscotte ramollie dans le thé fut un des refuges où les heures mortes — mortes pour l’intelligenceallèrent se blottir, et où je ne les aurais sans doute jamais retrouvées, si ce soir d’hiver, rentré glacé par la neige, ma cuisinière ne m’avait proposé le breuvage auquel la résurrection était liée, en vertu d’un pacte magique que je ne savais pas.» (cf. note n°1)

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Où est passé l’être extra-temporel dont parlait l’auteur dans l’Esquisse XIV et qui a disparu de la version définitive ? Il en sera un peu question dans la réminiscence des trois arbres et celle des trois clochers, mais Proust le réserve surtout pour la fin du roman, dans le Temps retrouvé. Pourquoi ? parce que selon lui « l’œuvre d’art est le seul moyen de retrouver le Temps perdu » (IV, 478) ; et c’est l’écriture de la Recherche, son œuvre d’art, qui va lui permettre de retrouver ce Temps perdu, cet être intemporel qui se trouvait en lui, et, comme il le dit lui-même, de « faire sortir de la pénombre ce qu’ [il] avait senti, de le convertir en un équivalent spirituel. Or, ce moyen qui [lui] paraissait le seul, qu’était-ce autre chose que faire une œuvre d’art[9] ? » Proust a connu ses réminiscences dans sa jeunesse, et, à l’âge adulte, il part à leur recherche dans l’intention de les faire advenir à nouveau afin de revoir cette sorte de présence, l’être intemporel. On n’est donc plus là dans des récits objectifs d’un phénomène d’Isakower, mais dans des recompositions tardives plus ou moins romancées. Pour notre étude nous avons besoin de remettre à sa place, si l’on peut dire, cet être extra-temporel, et sa place est, entre autres lieux, au cœur de la scène dite de la madeleine. Ça sera pareil pour les réminiscences suivantes ; ce seront souvent des scènes recomposées à partir d’éléments qui parfois furent prélevés ailleurs, dans d’autres résurrections. Proust le dit lui-même dans une esquisse (XXIV) de l’Adoration perpétuelle : « Peut-être serais-je amené par la rareté de telles résurrections fortuites du passé, à y mêler comme un métal moins pur, des souvenirs plus volontaires. » (IV, 817) Cela n’empêche pas que Le Temps retrouvé contienne les plus belles pages jamais écrites sur les extraordinaires sensations produites par un phénomène d’Isakower ; enfin… quand tout se passe bien, puisque l’on a vu que pour certains témoins ce phénomène n’avait rien d’agréable.

Voyons où est passé cette étrange présence qui accompagnait l’épisode de la madeleine – qu’on ferait mieux d’appeler la scène du thé au lait [15] ; voire la scène de la rôtie. Elle réapparaît dans le dernier chapitre du dernier volume ; l’auteur s’étend beaucoup plus sur cet énigmatique visiteur, et donne de sa présence une explication des plus originales. Le Temps retrouvé (IV, 449-450) :

« Or cette cause [de la survenue du phénomène], je la devinais en comparant entre elles ces diverses impressions bienheureuses et qui avaient entre elles ceci de commun que j’éprouvais à la fois dans le moment actuel et dans un moment éloigné le bruit de la cuiller sur l’assiette, l’inégalité des dalles, le goût de la madeleine, jusqu’à faire empiéter le passé sur le présent, à me faire hésiter à savoir dans lequel des deux je me trouvais ; au vrai, l’être qui alors goûtait en moi cette impression la goûtait en ce qu’elle avait de commun dans un jour ancien et maintenant, dans ce qu’elle avait d’extra-temporel, un être qui n’apparaissait que quand, par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l’essence des choses, c’est-à-dire en dehors du temps. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j’avais reconnu inconsciemment le goût de la petite madeleine puisqu’à ce moment-là l’être que j’avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l’avenir. Il ne vivait que de l’essence des choses, et ne pouvait la saisir dans le présent où l’imagination n’entrant pas en jeu, les sens étaient incapables de la lui fournir ; l’avenir même vers lequel se tend l’action nous abandonne. Cet être-là n’était jamais venu à moi, ne s’était jamais manifesté, qu’en dehors de l’action, de la jouissance immédiate, chaque fois que le miracle d’une analogie m’avait fait échapper au présent. Seul, il avait le pouvoir de me faire retrouver les jours anciens, le temps perdu, devant quoi les efforts de ma mémoire et de mon intelligence échouaient toujours. »

Puis le Narrateur dit que venait de renaître en lui, à trois reprises, un véritable moment du passé.

    « Rien qu’un moment du passé ? Beaucoup plus, peut-être ; quelque chose qui, commun à la fois au passé et au présent, est beaucoup plus essentiel qu’eux deux. […] Une minute affranchie de l’ordre du temps a recréé en nous pour la sentir l’homme affranchi de l’ordre du temps. Et celui-là, on comprend qu’il soit confiant dans sa joie, même si le simple goût d’une madeleine ne semble pas contenir logiquement les raisons de cette joie, on comprend que le mot de « mort » n’ait pas de sens pour lui ; situé hors du temps, que pourrait-il craindre de l’avenir ? »

    Je me suis limité à citer des passages qui, je pense, intéresseront plus particulièrement les isakoweriens ; il y en a d’autres. Certains reconnaîtront sûrement, comme dans l’Esquisse XIV (scène du thé), des sensations qu’ils éprouvèrent ; ils relèveront sans doute aussi d’autres passages de l’Adoration perpétuelle les concernant plus particulièrement, et que je n’ai pas mentionnés ici. Ils pourront également aller voir l’Esquisse XXIV du Temps retrouvé (IV, 814), laquelle est une autre version du passage que l’on vient juste de citer. Il y est à nouveau question de cet être intemporel :

      « Un simple moment du passé ? Plus peut-être ; quelque chose qui était à la fois commun au présent et au passé. En moi l’être qui venait de renaître, c’était celui qui avait ressenti cette même impression de joie à Combray, devant les aubépines, à Querqueville devant un rideau d’arbres, et devant un morceau d’étoffe, à Paris en entendant le bruit du calorifère à eau, d’autres fois encore – et qui devait m’ôter pour un moment la peur de la mort parce que j’avais goûté une miette de madeleine dans une cuillerée de thé – […] Je le reconnaissais. Cet être qui existe sans doute en chacun de nous ne se nourrit que de l’essence des choses. En elle seulement il trouve sa subsistance, ses délices. Il languit dans l’observation du présent où les sens ne peuvent la lui apporter. Il languit dans la considération du passé, que l’intelligence lui dessèche, et dans l’attente de l’avenir que la volonté construit avec des fragments du présent et du passé à qui elle retire encore de la réalité en leur assignant une affectation utilitaire, une destination étroitement humaine. Mais qu’un bruit, qu’une odeur déjà perçue autrefois soit pour ainsi dire entendu, respirée à la fois dans le présent et dans le passé, réelle sans être actuelle, idéale sans être abstraite, aussitôt cette essence permanente des choses est libérée et notre vrai moi qui depuis longtemps peut-être était comme mort, mais qui, comme ces graines gelées qui des années plus tard peuvent germer, s’éveille, s’anime et se réjouit de la céleste nourriture qui lui est apportée. Une minute, affranchie de l’ordre du temps, a recréé en nous pour la sentir l’homme affranchi de l’ordre du temps. Et celui-là, on comprend qu’il soit confiant dans sa joie, que le mot de “mort” n’ait pas de sens pour lui. Que pourrait-il craindre de l’avenir ? »

Là encore, je me suis limité à un court passage. Mais je pense que toutes les pages d’où sont extraits les deux passages ci-dessus intéresseront les isakoweriens au plus haut point, s’ils ont été concernés par cette présence ou cette étrange matière, et peut-être même s’ils ne l’ont pas été.

Notons également un lapsus calami de l’auteur dans l’Esquisse XIII de cette scène du thé, citée supra : En effet, juste après avoir éprouvé son effet Isakower et essayé en vain de le faire revenir pour l’étudier, le Narrateur déclare : « j’allais renoncer, boire mon thé sans plus penser. Et je sentais des morts que je ne reconnaissais pas qui comme les morts de l’Érèbe quand passe Énée disent : “Rends-nous le sang qui va nous ressusciter.” Et j’écartais leur foule importune. » Ce n’est pas Énée qui prononce ces mots mais Ulysse, lors de sa descente aux enfers. Or, Énée y descendit pour voir son père et lui parler, alors qu’Ulysse y alla pour voir sa mère et s’entretint avec elle.

Et pour finir, une énième variante ! (d’autres seraient sous presse – nov. 2022). C’est celle de l’ouvrage de Proust présenté à des éditeurs en 1912, refusé, puis finalement accepté, Le Temps perdu. L’épisode est à peu près semblable à la scène de la madeleine version classique. Mais elle diffère notamment pas un détail énorme, si l’on peut dire. En effet, on peut y lire : « Je portai à mes lèvres une cuillerée de thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de Madeleine [11]. » La majuscule introduit une forme de transsubstantiation, volontaire ou involontaire. Cela rappelle également un passage Jean Santeuil [13], avant que le héros ne s’endorme : « Ainsi Jean goûtait longuement les joues tendre de sa mère, puis sur son front fiévreux elle posait un baiser frais comme une compresse, [etc.] »

Dans cette même variante de la scène (dans Le Temps perdu), on note avec peu de surprise la correction d’une phrase : le Narrateur force son esprit à prendre une distraction qu’il lui refusait, « à penser à autre chose, à se refaire avant une suprême » Il y a un blanc après  « suprême » ; après ce mot il y avait « létalité », que Proust a rayé, puis laissé en blanc [12]. Sans doute faut-il y voir quelque relation avec ces morts de l’Érèbe dont il est question dans l’esquisse XIII de cette même scène du thé ; voire avec la scène de Jean Santeuil que nous venons de citer : le baiser du soir y est comparé à un viatique, à « la douce offrande de gâteau que les Grecs attachaient au cou du défunt […] pour qu’il accomplît sans terreur le voyage souterrain [13]. »

(À suivre : 6. Analyse de la scène avec Madeleine.)


NOTES :

[1] Proust, Contre Sainte-Beuve, éd. Pierre Clarac, La Pléiade, Paris Gallimard, 1971, p. 211-212.

[2] Dans Le Côté de Guermantes, le Narrateur explique que : « [Françoise] était surtout exaspérée par les biscottes de pain grillé que mangeait mon père. Elle était persuadée qu’il en usait pour faire des manières et la faire “valser”. » (éd. Folio, p. 21.) 

[3] Jürg Bischoff, La Genèse de l’épisode de la madeleine, Berne, Francfort-sur-le-Main, New York, Paris, Peter Lang, 1988, p. 105.

[4] Bischoff, La Genèse de l’épisode…, op. cit., p. 108.

[5] Bischoff, La Genèse de l’épisode…, op. cit., p.106-107.

[6] Ibid., p. 107.

[7] Page 197, lignes -8, -3, p. 198, lignes 6, 14, 18, -8, p. 199, lignes 6, 15, 17, p. 200, lignes 10, 11, 12, p. 203, lignes 1 sqq. Etc.

[8] Bischoff, La Genèse…, op. cit., p. 112.

[9] IV, 457.

[10] Voir : É. de Gramont, Robert de Montesquiou et Marcel Proust, 1925, p. 163)

[11] Le Temps perdu [1912], éd. Jean-Marc Quaranta, Bouquins éditions, Paris, 2021, p. 50. – C’est probablement le même texte qui est repris dans l’Esquisse XIV de la scène dite de la madeleine (Mais comment font les proustiens pour s’y retrouver dans une telle forêt de variantes, esquisses, etc.!)

[12] Ibid, p. 613.

[13]Jean Santeuil, op. cit., p. 73.

[14] M. Proust, Les Soixante-quinze feuillets, Gallimard, Paris, 2021, p. 236.

[15] Pour le lait, voir chap. 6. Analyse de la scène avec Madeleine.

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On peut faire une reproduction partielle de cette page à condition de citer l’auteur et l’URL.

1. Introduction 2. Présentation du phénomène d'Isakower 3. Fréquences des réminiscences du phénomène 4. Proust en état hypnagogique 5. La scène dite de la madeleine 6. Analyse de la scène avec Madeleine 7. Nouveaux exemples de phénomènes d'Isakower 8. Proust Gregh Darlu Bernard-Leroy etc. 9. Biscottes gâteaux marbrés madeleines etc. 10. Le passé présent 11. Caractère énigmatique du phénomène 12. À la recherche du sein perdu ? 13. Résistance 14. Le baiser du soir 15. Réminiscences des trois arbres et des trois clochers 16. La matinée à l'hôtel Germantes 17. La réminiscence des bottines 19. Sur la croyance celtique 20. Jean Santeuil et les réminiscences 21. La réminiscence du chalet de nécessité 22. Bibliographie isakowerana

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